Dobran et Sténoline, 2010

Publié le par MMM

Il était une fois une petite fille blonde, jolie petite fille blonde. Une princesse qui vivait dans un joli petit château en bord de mer avec ses parents et le reste de sa fratrie. Une jolie princesse blonde sur un joli coin de terre. Choyée par ses proches. Seule fille parmi ses grands frères, Sténoline était donc le craché portrait de sa mère ; une fleur que la femme se plaisait à épanouir, entre caprices et colliers de perle rose.

Sténoline, perchée sur ses mini-talons, était l’impératrice de la cour de récréation. Ses petites mains pleines de bagouzes en plastique saluaient les fans et dédaignaient les jaloux.

Pour son papa, pour ses frères, et pour tous les voisins sous la pression d’un apéro, Sténoline était la plus jolie des petites filles, une véritable princesse dont la beauté fraîche est le sésame.

 

Il était une fois un petit gaillard crapuleux, un petit ours brun tout léché de bienveillance. Aîné de son cadet, Dobran était l’homme de la maison depuis que son père l’avait désertée. Sa bonhomie légendaire en avait souffert. Car tous les pots de miel du monde ne pouvaient suffire à endurer les larmes de sa mère avant le pipi du matin. Dobran était un petit courageux qui défendait rageusement sa cabane au bord de l’eau.

 

Sténoline grandissant avait délaissé les mini-talons pouffiasse pour les débardeurs motif léopard, beaucoup plus classes. Ses yeux s’étaient fardés de vert et ses ongles exhortaient le fushia. Sa mère l’avait inscrite dans une agence, et Sténoline avait participé au grand concours de « Miss du Bord de Mer ». Mais une rousse d’une vulgarité sans nom avait remporté le titre. « De toute façon ces fils de pute ils marchent qu’au piston » avait rassuré son père.

 

La barbe brune de Dobran le rendait irrésistible. Elles tombaient toutes, les unes après les autres, devant cette incarnation du MÂLE tout de brun vêtu. Des mains épaisses, de celles dont il faut être l’amie. Dobran, celui qui passait ses boums adossé contre le mur, tête baissée ; celui qui économisait ses sourires et cachait son œil brillant derrière une lourde frange. Tellement plus sexy que ces minets qui se tortillent, pensent-ils, en rythme.

 

Les copinespourtoujours commençaient à blâmer le succès dévastateur que Sténoline rencontrait lors du moindre déplacement. Sténoline, jolie blonde qui a tout misé sur son physique ; Sténoline, jolie blonde qui sourit et se tait. « Mannequin, ou actrice, je ne sais pas encore ».

 

Le choc fut frontal. La bête se saisit dans les ovales bleus de la blonde, et la belle s’ébaudit dans les volutes de brun. Dobran et Sténoline, l’homme et la femme comme dans les séries américaines, le grand buriné qui ne concède rien et sa silencieuse, nonobstant jolie, assistante de direction. La force et la beauté, un grand arbre baigné de la douce sève qui cajolera leurs non moins merveilleux fruits tandis que papa ira bosser… The dream quoi.

 

« Force est de constater que ces deux êtres auraient pu superbement se compléter, s’épouser et s’épanouir ensemble, et engendrer le produit de cette riche rencontre, quelque chose de beau…. »…le vieux laisse tomber sa voix…

 

« Reprenez s’il vous plaît, nous avons vraiment besoin de votre version des faits pour essayer de comprendre ce qu’il a bien pu se passer… »

 

 

Dobran et Sténoline vivaient dans une petite maison sur flanc de falaise. Officiellement unis par les liens du mariage, la pieuse Sténoline avait enfin pu passer au stade suivant de son existence, et de princesse elle était devenue maman. Une maman svelte qui avait traqué les calories pendant ses trois grossesses. Une jolie maman qui faisait des émules à la sortie de la maternelle. Une jolie maman qui sentait bon, qui était toujours apprêtée, même pour racler le fond de merde des chiottes du bas. Dobran avait rasé sa barbe sauvage et oeuvrait en chemise courte dans un magasin d’électro-ménager. Le soir il rentrait, posait sa mallette, s’emparait d’une bière et déboutonnait son col en allumant the TV-SET. Ses grosses fesses faisaient gémir le cuir et Dobran lâchait un rot. La tête irrémédiablement braquée sur l’écran, il répond en ânonnant à Sténoline qui nourrit les enfants en cuisine. La main inextricablement greffée sur ses testicules, il répond distraitement à Sténoline qui décapite le cochon en cuisine. « C’est prêt !! », et la masse de gras se lève et fait tinter les cadavres de bouteille en rejoignant la table.   

Quand vient l’obscurité glauque et confinée de la chambre à coucher, Dobran pousse soudain un grognement et saisit les hanches de Sténoline, qui se retourne. Dobran est déjà en train d’enfourcher Sténoline que celle-ci le repousse et lui tend ses lèvres. La main de Dobran renvoie la face blonde dans l’oreiller et ajuste encore un peu mieux son entremise. Il écarte encore un peu mieux la cuisse de sa femme, comme il en a l’habitude, quand soudain Sténoline, comme cela lui arrive parfois, ferme rageusement les jambes et tente de se dégager. Dobran, comme il a commencé à le faire depuis que son patron a engagé un nouveau commercial talentueux et gominé, assène une claque à Sténoline, puis deux quand elle fait mine de protester, puis trois lorsqu’elle tente d’hurler. Il lui met finalement la main sur la bouche et se couche de tout son poids sur la svelte et jolie Sténoline, qui avait refait ses mèches juste aujourd’hui pour plaire à son Dobran. Son Dobran qui la pénètre et la baise d’un air furieux. Et Sténoline aime le côté viril et bourru de son mâle, alors elle essaye d’arrêter de pleurer comme une idiote qui va gâcher la cartouche de son aimé ; sur la fin elle esquisse même de longs soupirs, parce qu’elle sait que Dobran aime leur couleur. Pour autant Sténoline, une fois que cette affreuse minute quarante cinq est passée, court se réfugier dans la salle de bain pleurer tout son soûl. Lorsqu’elle reparaît dans la chambre Dobran ronfle déjà allègrement.

 

La princesse Sténoline devenue maman devenait une femme cernée que rongeait un profond ennui. Elle était toujours aussi jolie mais ses cheveux blonds ne charriaient plus rien. Des chats, des chiens, des poissons rouges ou des dragons de komodo, rien ne sut apaiser l’inextinguible solitude qui l’étreignait. Sténoline flottait dans ses strings et ne remplissait plus son décolleté. Elle était toute séchée et beurrait machinalement les tartines de ses enfants. Tandis que Dobran plaquait sa banane au pento et moulait son bide dans une chemise usée.

« Et qu’est-ce que t’as maman à l’œil ? »

 

Le commercial talentueux et gominé avait fini par dégommer le Dobran, dont le brun avait définitivement tourné. Sténoline faisait des ménages pour ramener de l’argent, et Dobran refaisait son CV, en calbar, ivre au soleil de midi. Sténoline, enhardie par son nouveau statut de pourvoyeur de la maison, moquait de plus en plus le Dobran et son incapacité à retrouver du travail et à gérer le pan domestique de leur douce idylle. Le temps passant et l’alcool aidant, Dobran avait l’humour decrescendo et la baffe de bon allant. Aussi Sténoline commença-t-elle à se fatiguer de ce boulet hirsute qui parasitait son intérieur et finit par céder aux avances de l’un de ses collègues du restau autoroutier.

 

 

Les enfants étaient de plus en plus sales et négligés. La morve collée et les joues noires, les trois produits de cette riche rencontre étaient totalement livrés à eux-mêmes, perdus dans le marasme des névroses parentales. L’aîné tentait d’accommoder le quotidien des plus jeunes mais le dessin animé le plus palpitant ne détournera jamais un enfant des coups et des insultes que s’échangent ses parents.

 

La fin est d’une consternante banalité. Un soir que Sténoline tardait encore à rentrer, une nuit que les enfants repus d’une boîte de ravioli pleuraient silencieusement dans leurs lits, Dobran, ivre contre toute attente, étouffa ses petits avec un gros oreiller de plumes d’oie. Il trancha la gorge de sa femme, encore écarlate de son orgasme avec le collègue. Il avala des somnifères en buvant le champagne qu’il avait gardé pour sa promotion, et ouvrit le gaz. La nature est bien faite et une légère explosion vint dynamiter cet antre du bonheur en mettant le feu à toute la maison.

 

« On recherche toujours le père, dont on ne sait pas s’il était dans la maison au moment de l’incendie. D’après les premiers éléments de l’enquête, il s’agirait vraisemblablement d’un drame familial. Il est 14h15. Et maintenant la météo ».

 

 

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