sei gesunt

Publié le par MMM

Maman.

Maman.

Ma mère. Mammaire. Matrice dont je goutte.

Une dimension parallèle, un océan de lenteur, je stagne dans une eau caoutchouteuse et de là-haut tu me regardes. 

Je ne sais pas bien, de ce conglomérat de chair, distinguer l’une de l’autre. Je suis agrippée à ton souffle, ton cœur qui bat me tient toute entière. Respire maman, respire fort, j’ai besoin d’air maman, respire fort s’il te plaît.

Ma mère.

Mamelle de ma vie à laquelle je me suis pendue.

Maman.

Moi.

Je regarde tes photos. On se ressemble. Regard lumineux qui trahissait ton caractère de chien, le même que le mien. Unique femelle de la portée, le devoir de te porter.

Aujourd’hui pourrait être dimanche ; ni toi ni moi n’y prêtons attention. Mon chômage, ta dépression. Sans soleil. Une heure quelconque de l’après-midi.

Tu gis sans vie sous ta couverture tricotée main. Tu vieillis maman, tes hobbies en témoignent. Tu fixes l’écran du salon d’un air absent, aplatie sur le sofa, figée dans la fumée de tes éternelles cigarettes. Tu m’en consens une avec dédain. Sans même croiser mon regard, tu me fais signe que oui, je peux taper dans ton paquet. Je m’assois sur le fauteuil en face, tu ne me regardes toujours pas. Je te raconte, Maman, qu’aujourd’hui j’ai reçu un courrier pour un poste que je convoitais. Trop jeune, manque d’expérience, le poste a été pourvu. Tu ne dis mot. Tu ne bouges toujours pas. A mon tour je m’enroule dans un de tes trophées de laine, et mécaniquement me met en boule. C’est l’heure de la publicité. J’ai froid.

 

 

*****

 

 

 

 

11 heures du matin. Tu fais ton apparition. Ton habit, ton pyjama, couleurs vives sur ton visage éteint. En passant tu grommelles quelque chose, tu te diriges vers la salle de bain. Porte ouverte, urine qui éclabousse, pet qui résonne. Tu te sers un café, tu t’allumes une cigarette.

Me suis levée à l’aube. Footing, petit déjeuner vitaminé, et puis chercher un emploi, scruter les petites annonces, refaire, encore, mon CV. C’est mon genre les sursauts d’activité. A ton lever je suis en plein ménage. Je finis la vaisselle, je te rejoins. Tu te roules un joint.

Maman, tu ne devrais pas fumer comme ça de bon matin. C’est pas bon pour toi, ça te fait du mal. Tu n’en sais foutrement rien, retourne à tes casseroles. T’es accro au ménage, moi au bédo : quelle différence ? Parce que ton vice est plus convenable…Le sens des convenances. Un truc de Papa. Un truc de la famille de Papa, avec laquelle Maman ne s’était jamais entendue. En pleine crise d’adolescence, Papa s’était piqué de faire rager ses parents en épousant une jeune libertaire, une chienne qui ne se reconnaissait aucun maître. Et puis Papa avait mûri, il s’était lassé. Il avait laissé Maman à ses délires, et il était parti. Il n’était jamais revenu. Maman ne parle jamais de Papa. Jamais. Elle aimerait pouvoir totalement oublier cet épisode de son existence. Mais il reste des traces, difficiles à faire partir. Saloperies de souvenirs qui restent, qui refusent de s’effacer. Qui se fendent en plus de leçons de morale, alors qu’on essaie juste de survivre.

 

*****

 

 

Maman est née de l’autre côté de la terre. Elle a débarqué ici elle était déjà femme. Il avait fallu qu’elle disparaisse, je n’ai jamais vraiment bien compris pourquoi. Jamais rien n’a été facile. Etrangère à l’accent fort, plaquée à 27 ans par le parfait petit français qui devait l’aider à s’intégrer.

Maman c’est ma fée. Ma reine. Un trésor vert-émeraude que j’ai le devoir de protéger. Quand Papa est parti je me suis transformée en preux chevalier. Dévoué. Que rien ni personne ne fasse de mal à Maman. J’ai d’ailleurs épuisé tous les amants qui se sont succédé. De quoi comprendre pourquoi, eux aussi, avaient fini par partir.

Les amants ont moins défilé, et puis il y a 7 ans il y a eu Ben. Une espèce de gourou au crâne lisse auréolé d’une tignasse de dreadlocks qui sentaient la lavande. L’ai jamais beaucoup aimé. Lui non plus d’ailleurs. Il avait achevé de convaincre Maman de me faire suivre une formation à l’autre bout du pays. Les voyages forment la jeunesse avait dit l’autre. En fait de formation j’avais perdu ma virginité, m’étais essayée à tout un tas de drogues, et depuis je ne vivais plus sans ma rasade quotidienne de vodka. L’alcool se marie mal avec les antidépresseurs ; c’est ce que n’arrête pas de me répéter mon psy. D’un autre côté il refuse que j’arrête mon traitement, alors bon, faut assumer.

*****

 

 

 

 

Ca fait six mois que Ben est parti. Avec sa pute, sa pouffe qui se tond la touffe, insolente petite secrétaire. Oui, comme dans les films. Ca te fait grogner Maman, tu rages et tu baves, tu craches parfois sur l’écran sale du salon. Dès qu’une mini-jupe se pointe, dès qu’une paire de talons claque. Occit avec rage un grand carré de chocolat blanc.

 

L’hiver est tombé Maman. Et tu t’es mise à avoir froid. Le manque d’argent déclaré, les perspectives manquantes, ton unique rejeton cramponné à tes basques, infoutue de s’en sortir toute seule.

Moi, maman, moi, collée à tes frasques, incapable de te quitter, parce que sans toi je n’existe pas.

 

L’hiver est tombé Maman, et tu t’es mise à avoir froid. Commencé à taper dans la caisse de whisky de la vieille mère, qui elle, pour le coup, était vraiment devenue trop froide pour songer à en boire. Des petites rasades, des petits bouchons d’alcool. Censés dynamiter ta gorge, impulser ton cœur.

Tu as de plus en plus froid. Tu jettes toutes les bouteilles sur tes petites flammes qui s’éteignent. Maman. Avec autorité, tu as intimé à toutes les pendules de la maison l’ordre de s’arrêter. Tu ne supportes plus le temps, et lovée dans toi-même tu t’octroies le luxe de l’ignorer. Seuls les signes de ta décrépitude qui avancent rappellent parfois le bleu qui pointe. Les yeux blancs des miroirs parfois trahissent la tâche sombre et livide que tu deviens chaque jour davantage. Flamme rouge qui s’éteint.

 

Maman. Mon héros. Mon tout, mon moi. Tout ce que je suis.

Maman, pourquoi suis-je moi ?

 

Oui. Couvrir de ridicule cet être si odieux que j’appelle « moi » m’amusera.

 

 

C’est la seule raison pour laquelle tu m’aimes.

 

C’est toi que tu aimes à travers moi,

 

Par moi tu te frottes à toi

 

Par petits coups de spéculations narcissiques

 

 

Tu te masturbes contre moi maman, c’est comme ça que tu te fais du bien.

Et tu m’insultes, et tu m’accuses,

Tu aimes mettre en moi

Ce que tu n’aimes pas en toi

Et y étant ostensiblement hostile

Tu aimes croire que tu deviens meilleure

 

Tu te soignes à travers moi

Maman

Je t’aime

 

C’est tout ce qui me tient en vie Maman

Te faire du bien

Je n’ai que toi

 

 

Pauvre adulescente éperdue

Enfulte pendue au saint téton

Essaie, de sortir, du nid.

 

Mais tu es là.

Ma bonne mère qui tient le foyer

Qui par d’habiles manipulations nous loge et nourrit sans avoir besoin d’un emploi

 

Maman

Jolie poupée fânée

Parvenue à coups de fessiers à préserver son confort

Femme gâtée, d’attentions guidées elle avait fait d’heureux placements. 

Seule l’enfant posait problème.

Je sais que je t’emmerde maman.

Je rogne ton budget et je t’oblige à réfléchir. C’est ça qui t’énerve.

 

Je le sais, mes plus belles claques ont été pour celle-là. « Tu parles trop ! », « Tais-toi ! ». Je crois être devenue la spécialiste de ces grandes claques magistrales façon soufflets du cinéma. Comme dans les films. Bien souvent j’aime prendre cet air digne, afficher un code d’honneur, à la manière du héros d’un drame, barbouillé de grands éclats. Tu cognes et je me contente de maintenir mon port de tête, au maximum. Et d’exprimer tout l’amour qui, à ces moments-là, nous lie. Compatissante et méritante, j’encaisse tes coups de poing, avec commisération je me contente de te frôler avec autorité, pour te manifester les 20 kilos qui te maintiennent en dessous de moi. Petite connasse, je sais que je t’emmerde. Je sais que je te fais chier à taper dans ton sac d’or et à te rappeler ce que tu veux oublier. J’aurais tellement aimé que nous soyons amies. Petite pute. Maman d’amour.

*****

 

 

Les temps changent, Maman. J’ai 25 ans. Je ne peux plus continuer à m’excuser d’exister à chaque instant. Et je pèse effectivement 20 kilos de plus que toi. Nos bagarres devaient cesser. Depuis maintenant des mois tu t’étais mise à me taper avec des objets lourds, il avait bien fallu que je réagisse. Jolies bagarres, bigarrées, bizarres. Cette fois où il avait fallu que tu prétendes être tombée pour justifier la légère balafre qui lardait ton mascara. Parfois, il est vrai, tu tombais toute seule, lamentablement bourrée et défoncée à du pneu noir de cannabis.

Maman m’avez saoulée, vous voyez. Je ne la supportais plus.

 

Au début je m’en voulais toujours, et puis sur la fin, c’était devenu normal. Le seul moyen qu’elle ne fasse pas de crise, qu’elle arrête de hurler. Au début je m’en voulais, de la voir sangloter la joue collée au carrelage. Et puis, petit à petit, je suis devenue la maîtresse de maison. Je lui intimais de se taire. Et sanglotant toujours, elle continuait de fumer de l’herbe, grimaçant à chaque latte, tordant sa mâchoire violette et noire. Dès qu’elle reprenait un peu de force, elle recommençait : « Salope ! t’es bien comme ton père !! toi aussi tu vas me laisser toute seule, hein ». Comme je ne réagissais pas, elle reprenait « enfin encore faudrait-il que tu te trouves un job pour pouvoir te casser hein ! Feignasse ! Incapable ! personne ne veut de toi, personne !! tu ne peux rien faire d’autre que de rester ici avec moi !!! et ca t’emmerde hein, tu voudrais bien que je claque, salope, pour avoir enfin la paix, hein ? ». Le chat miaulait en regardant maman. Quand elle avait trop bu, elle crachait par terre, me traitait de vilaine. Si tu avais été plus jolie t’aurais au moins pu te trouver un homme. Elle attrape mes cheveux par poignée, comme lorsque j’étais gamine, et à l’oreille elle me hurle : « tu voudrais que je te foute la paix hein ??!!! ». Non maman, non, je t’aime. Ne te mets pas dans tes états pareils. Calme-toi, lâche mes cheveux. Lâche mes cheveux. Lâche mes cheveux je te dis. Arrête de m’insulter. Arrête. Commencer par la pousser pour lui faire lâcher prise, et puis comme elle s’accroche, la tique, lui saisir les poignets. Une volée de baffes qui se perd contre le poing d’autorité que je lui assène. Tu te calmes maintenant. Je suis pas ta chienne. Au début ça suffisait à la calmer. Puis, whisky chauffant. Elle continuait de me provoquer, elle hurlait toujours plus, m’insultait d’avantage, elle se moquait de moi « tu n’es même pas capable de te défendre contre moi ; regarde toi tu trembles ! tu n’es même pas capable de te protéger toute seule ! ».

Elle se lève, se frotte la joue. Avale une lampée et crache par terre. Elle marmonne que les chattes, elles, ont la décence de dévorer les tarés de leur progéniture. Mais que je ne suis qu’une chienne et qu’il n’y a bien que les coups de dents que je comprenne. « La faute à qui ? les chats font des chiens, peut-être ? ». Elle me fige de son regard émeraude, outré, scandalisé, elle neutralise toute mon énergie et me toise avec condescendance. Bien comme ton père, un chien guidé par sa queue. Il m’a tout pris, tout, à cause de lui je ne suis plus rien.

C’est l’heure de la complainte de la petite réfugiée politique. L’heure du sanglot de la jolie princesse désabusée par son égoïste de prince. Le moment de l’ode à la contraception, le temps de l’homélie darwiniste. Tu ne devrais pas être là, tu es une erreur.

Je fonds en larmes. Et puis la rage. Je m’avance vers elle, je lui mets une grande claque. Elle me regarde, hébétée. Je lui mets une autre claque. Elle se met à brailler, et fait mine de se jeter sur moi en roulant des poings. Je l’empoigne par les cheveux et je frappe sa tête contre le buffet. Le bruit du choc m’impressionne, me fascine, je tape encore, plusieurs fois, jusqu’à ce que le bruit sec se remplisse de vert émeraude. Je la lâche, elle fait quelques pas, mugissant. Je distingue sa face rouge qui s’éparpille sur le sol. Elle gémit, je crois qu’elle va pleurer. Je suis prise de remords. Je tente de m’approcher d’elle. Calme-toi, s’il te plaît. On arrête. Elle me brise un verre sur le front et à nouveau se jette sur moi, me martelant de ses « crève ». Je me laisse glisser. C’est bon, maman, tes petits poings sur ma peau. Tes petites mains sur mon visage, la pointe de tes cheveux flirtant avec mes cils. Je t’aime maman, je t’aime si fort. Et puis soudain j’ai très mal à la tête, alors mécaniquement je joue des mains, j’essaie de me redresser. Elle refuse de me laisse faire alors j’attrape ce que je peux pour l’y obliger. Le gros cendrier de pierre, rempli de mégots et de cendre crasse. Il explose en mille morceaux, et tu t’étales de tout ton long sur le carrelage. Je me lève. Tu ne bouges plus. Du pied j’essaie de te remuer. Tu ne réagis absolument pas. Je savoure quelques instants ce calme revenu, cette sérénité de bonne augure qui soulage tout ce que je suis. Je me délecte du spectacle de ton corps immobile et vulnérable. Tu ne peux rien me faire. Rien. Instant délicieux. Jubilatoire. Et puis soudain tu te remets à grogner. Tu fais mine de reprendre tes esprits. L’automatisme de ma jambe n’eut jamais d’équivalent. De ma pointure 40 je t’ai martelé le crâne. Salope. Laisse-moi tranquille. Tu as un peu crié et puis d’un coup il n’y a plus rien eu. Sous mon pied j’ai senti l’éclatement d’une grosse balle de tennis pleine de confiture et de fiel. Ma chaussure est rouge. Ca a toujours été ma couleur préférée. Maman. On s’entend si bien quand tu es calme, tu vois.   

*****

 

Je n’ai pas fait exprès.

Ou plutôt si.

Je l’ai sauvée, j’ai percé l’abcès,

Grace à moi elle n’a plus de souvenirs.

 

Un simple cocktail.

Un simple cocktail de toutes les choses de nos vies.

Alcool, cigarettes, fumette, antidépresseurs, somnifères, anxiolytiques, titillant les ulcères, tripotant usure et suffisance.

Tu n’as pas bougé depuis plus de douze heures.

Les trois chats, prostrés à tes flancs.

 

 

Tu es morte maman. Il a fallu que je fasse quelque chose, j’ai pris ton corps et je t’ai foutue sur ton lit. Et oui, j’ai bien pensé à te laisser tes clopes.

 

 

 

 

 

Maman tu es étrange. A dire vrai je n’ose plus tellement entrer dans ta chambre. Tu ressembles à du poisson. Tu sens. Je ne peux pas te laisser là. Je ne peux pas non plus dire que tu es morte sinon on va me tomber dessus. Maman j’espère que tu as fait le deuil, même plus de tes jolies formes d’un autre siècle, mais de ta simple faculté à ressembler à quelque chose d’autre qu’un flan turquoise.

 

Alors maman je t’ai réchauffée une dernière fois. J’avais peur de sortir de la maison, alors j’ai fait un bon feu de bois.

J’ai fait comme si je découpais un grand steak, je suis restée concentrée sur les jointures mais j’ai refusé de me laisser impressionner.

J’ai mis beaucoup de lavande aussi pour que ça craquèle et que ça sente bon.

Un véritable feu de joie qui sentait le violet.

Ca t’aurait plu.

 

 

Maintenant il faut que je te laisse Maman.

Maintenant il faut que je m’organise. Mettre en scène ta disparition et justifier l’absence du corps, refaire mon cv, recommencer le footing.

A bientôt Maman.

Prends bien soin de toi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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