M. Darrieussecq/rentrée littéraire 2011

Publié le par MMM

Clèves

 

C’est tentant, facile et attendu, c’est donc ce par quoi je commencerai : QUID des liens entre Clèves de Marie Darrieussecq et la Princesse de Clèves de Mme de Lafayette ? Parce qu’effectivement, ce nom de « Clèves » sonne trop à l’oreille des amateurs de littérature pour que l’on puisse songer à une simple coïncidence.

Or, contre toute attente, oui, il y a bien des vases communicants entre les deux ouvrages. Tant que, pour aller vite, on pourrait dire que Clèves est la version remasterisée du roman de Mme de Lafayette.

Même sujet. Une princesse qui prend cher. Une jeune damoiselle toute fraîche, tartinée de rêves à l’eau de rose, vit ses premiers émois, découvre son corps, apprend l’amour. Emancipation mâtinée du sens des convenances et du besoin de reconnaissance. Entre ce qui se fait ou pas, ce qui se dit ou pas, ce qui se fait sans se dire, et réciproquement. Les deux héroïnes sont prisonnières d’une vie de village, d’une microsociété lardée de ronds-de-jambe et de sous-entendus. La bienséance contre l’amour de soi. Oui, Clèves est ce même roman d’apprentissage, rimant inéluctablement avec désenchantement.

Sauf que, évidemment, il n’y a pas que ça dans Clèves. Qui dit remastering dit recréation, de sorte que l’ingénue cru 2011 ferait pâlir d’effroi son homologue du XVIIème. Ici, le « trouble » de la jeune Solange est (très) loin de la chaste passion de la princesse de Clèves pour le Duc de Nemours. Dans Clèves, les feux de « l’âme éperdue » ont d’abord pour objet le doigt sale et anonyme d’un jeune homme ivre en boîte de nuit. Car dans Clèves, tout est sexe. Oui, Darrieussecq figure très bien la transe pubère, la folle ivresse de l’éveil à la sensualité ; ce moment d’une vie où l’on frise l’érotomanie, où tout nous excite, où l’on ne maîtrise absolument pas ses pulsions et sursauts de libido ; ce moment où l’existence n’est qu’une grande bouche moite qui crie famine.

Cet aspect de Clèves fait, selon moi, écho à l’anthropologie de Darrieussecq, que j’ai pu découvrir dans Truismes, son premier roman, et que je définirais ainsi : l’humain est un animal caractérisé par ses désirs et leur satisfaction. Le degré d’élaboration de ceux-ci ne sert qu’à agrémenter la tournure complexe qu’il est de bon ton de donner aux conversations, dans les cocktails et les universités. Tout est corps. Le style vient en renfort illustrer le propos de l’auteur, tissu de descriptions et d’émotions littéralement préhensibles, et qui sentent. Propos de l’auteur, d’ailleurs, qui revêt une pertinence notable lorsqu’il se conjugue à une réflexion de fond sur la condition féminine et la sexualité atrophiée qui lui a longtemps été imposée. Oui, un peu comme dans Truismes, en fait. Il s’agit sûrement de la cohérence de l’auteur dans l’ensemble de son œuvre. Pour autant, j’avais dévoré Truismes, et quinze ans plus tard j’ai poliment avalé Clèves. Reconnaître avoir fait le tour de la question, avant l’indigestion.

 

 

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